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Présentation détaillée

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Partition manuscrite

DIE LETZTEN TAGE DER MENSCHHEIT

(Les derniers jours de l’humanité)

Thinkspiel en allemand (avec sous-titres) en deux parties de Philippe Manoury

D’après la tragédie éponyme en cinq actes avec prologue et épilogue de Karl Kraus
Livret : Patrick Hahn, Philippe Manoury, Nicolas Stemann.

Pour 9 chanteurs, acteurs, ensemble vocal, chœur, électronique en temps réel et grand orchestre

Commande de l’Opéra de Cologne

Création : 27 juin 2025, Opéra de Cologne
Dates de représentation : 27 et 29 juin, 4, 6 et 9 juillet
au Staatenhaus Köln (Auenweg 17, 50679 Köln, Allemagne)

Direction musicale : Peter Rundel
Mise en scène : Nicolas Stemann
Décors : Katrin Nottrodt
Lumières : Elana Siberski
Costumes : Tina Kloempken
Vidéos : IXA (Claudia Lehmann, Konrad Hempel)
Régie son et électronique : IRCAM (France)
Conception informatique musicale : Miller Puckette
Réalisateur en Informatique Musicale : Carlo Laurenzi
Régie son : Sylvain Cadars
Mixage son : Philippe Manoury
Direction des chœurs : Rustam Samedov
Dramaturgie : Stephan Steinmetz.

Chanteurs : Anne Sofie von Otter (mezzo),
Tamara Bounazou, Emily Hindrich (soprani)
Christina Daletska, Johanna Thomsen (mezzi),
Dimitry Ivanchey, John Heuzenroeder, Armando Elizondo (Ténors)
Lucas Singer, KS Miljenko Turk, (barytons-basses)
Acteurs : Sebastian Blomberg, Patrycia Ziolkowska

Chœur de l’Opéra de Cologne
Orchestre Gürzenich de Cologne.

Durée : 3 heures avec un entracte.

 INTRODUCTION

Die letzten Tage der Menschheit (Les derniers jours de l’humanité) est une tragédie composée entre 1915 et 1919 par le satiriste et polémiste viennois Karl Kraus. Elle décrit la fin d’un monde miné par la poursuite sans fin des guerres. Karl Kraus explique que son livre contient énormément de matériel dont il n’est pas l’auteur. Ce sont des phrases entendues ici et là, dans les cafés, dans les rues, dans les manifestations, mêlant dialectes, argots, scènes comiques, tragiques et inventions surnaturelles. Divisé en 5 actes (chacun correspondant aux 5 années de la première guerre mondiale), avec prologue et épilogue, cet ouvrage de plus de 700 pages était, selon les dires de son auteur, une pièce de théâtre non pour les humains, mais pour la planète Mars. Il n’y a pas de personnages principaux dans cette tragédie, mais une multitude de situations, de scènes qui se catapultent, parfois sans aucune volonté de continuité. Le réalisme, la satire, le comique, le tragique, les invectives politiques y côtoient le fantastique et l’Apocalypse.

L’adaptation de cet ouvrage a été écrite conjointement par Patrick Hahn, Nicolas Stemann et moi-même. Ce Thinkspiel (voir ici la définition de ce genre) est en deux grandes parties d’environ 70 minutes chacune, séparées par un entr’acte. La première partie respecte la chronologie de la pièce de Kraus, car on y trouve un Prologue et les 5 actes, de façon très condensée. Il a évidemment fallu rétrécir énormément les dimensions de ce livre qui, sinon, auraient exigé un spectacle de plus de 24 heures ! Lors de la seconde partie du Thinkspiel, divisée en 4 tableaux, nous quittons l’univers historique de Kraus (mais pas celui de sa langue) pour nous placer dans un présent/futur jamais déterminé. Seule l’idée de la guerre éternelle fait le lien entre ces deux parties. Plus l’œuvre progresse vers sa fin, plus elle retourne à Karl Kraus, mais le Kraus visionnaire mêlant situations surnaturelles, animaux, nature, et images apocalyptiques.

Ces deux parties bénéficieront de deux architectures différentes. Lors de la première, l’orchestre est placé sur scène, et non dans la fosse, derrière les chanteurs (et les acteurs). Dans la seconde, l’orchestre est divisé en trois blocs : les cordes, une partie de l’harmonie et les percussions en face, et deux autres podiums, à gauche et à droite du public, contenant chacun un ensemble de 10 musiciens (essentiellement des bois et des cuivres). De plus, la musique électronique, assez discrète dans la première partie, deviendra un élément essentiel de la seconde. Le public est ainsi immergé dans la texture orchestrale, comme il va l’être dans la musique électronique. Cette puissance acoustique, prenant en quelque sorte le public en otage, est une parabole de la situation actuelle où se déploie une puissance guerrière sans commune mesure avec celle de la période contre laquelle Karl Kraus bataillait. La guerre sans fin et la menace d’une destruction à très grande échelle, dont Karl Kraus était l’annonciateur, font désormais partie du monde qui nous entoure.

Les chanteurs et acteurs n’auront pas de caractères particuliers, mais incarneront une multitude de personnages, comme dans le livre de Kraus. Cependant un personnage qui n’existe pas dans le livre a été ici inventé. Il va traverser toutes les époques. Nous l’avons appelé Angelus Novus, d’après le tableau de Paul Klee qui a inspiré à Walter Benjamin, qui l’avait acheté, la figure de l’ange de l’histoire. À la fois messager, témoin, Juif errant (Ahasvérus), il assiste, impuissant, à la disparition de l’humanité en proie à sa propre folie de destruction. Ce rôle a été écrit pour Anne Sofie von Otter.

 

STRUCTURE

PREMIÈRE PARTIE (Prologue et 5 actes)

Prologue :Präludium (Prélude), Lesen (Lecture) et Kriegschor (Chœur de guerre)

Act I : DAS ATTENTAT (L’attentat)
Scene 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Scene 2 : Nepallek-Schönbrunn (Nepallek-Schönbrunn)
Scene 3 : Trauermarsch – Beerdigung Franz Ferdinand (Marche funèbre – Funérailles de François Ferdinand)
Scene 4 : Kein eigenes Wort (Pas un mot)

Act II : KRIEGSBEGINN (Le début de la guerre)
Scene 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Scene 2 : Graf-Baron (Comte-Baron)
Scene 3 : Satzenende (Fins de phrases)
Scene 4 : Patriotische Mädchen (Jeunes filles patriotes)
Scene 5.1 : Phantasielosigkeit (Manque d’imagination)
Scene 5.2 : Vorgefühl I (Pressentiment I)

Act III : KRIEGSSPIELE (Les jeux de la guerre)
Scene 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Scene 2 : Frau Wahnschaffe (Madame Wahnschaffe)

Act IV : HÖLLENBERICHTE (Reportage sur l’enfer)
Scene 1 : Vorgefühl II (Pressentiment II)
Scene 2 : Die Schalek (La Schalek)

Acte V : DAS GRAUEN (L’horreur)
Scene 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Scene 2 : Dyptik der Grausamkeit (Diptyque de la cruauté)
Scene 3 : Holy Mass/Letzte Mahl (Sainte messe/Le dernier repas)
Scene 4 : Vorgefühl III (Pressentiment III)

SECONDE PARTIE (Prélude, 4 tableaux et épilogue)

Praeludium pour orchestre.
Tableau I : Erscheinungen (Apparitions)
Tableau II : Elektronisches Theater (Théâtre électronique)
Tableau III : Fluch der Menschheit (Malédiction de l’humanité)
Tableau IV : Die letzte Nacht (La dernière nuit)
Épilogue : Die Ungeborene Kinder (Les enfants non nés)

                                      PREMIÈRE PARTIE : DÉROULÉ

PROLOGUE
Praeludium :
Bref prélude pour orchestre basé sur une succession d’accords qui reviendra cycliquement dans cet ouvrage. Ce sont « les accords de la fin de l’humanité ».
Lesen : (Lecture)
Deux acteurs sont sur scène et lisent « Die letzten Tage der Menschheit » de Karl Kraus. De temps à autre se font entendre des bruits et sons musicaux qui interrompent souvent leur lecture. Peu à peu ces interventions deviennent de plus en plus audibles et des voix s’y mêlent, perturbant considérablement la lecture des deux acteurs.
Kriegschor : (Chœur de guerre)
Une fois constitué, le grand chœur de 70 personnes entonne un chant guerrier qui submerge totalement les voix des acteurs. C’est une parabole sur la musique chorale et agroupante qui détruit une pensée intellectuelle et individuelle.

ACTE 1
Scène 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Un vendeur de journaux crie « Édition spéciale : on a assassiné François-Ferdinand ». Scène chaotique avec de multiples voix superposées.
Scène 2 : Nepallek-Schönbrunn
Un conseiller impérial s’entretient au téléphone au sujet des funérailles de l’Archiduc François-Ferdinand. Cet assassinat est généralement considéré comme le déclencheur de la première guerre mondiale.
Scène 3 : Trauermarsch – Beerdigung Franz Ferdinand (Marche funèbre – Funérailles de François Ferdinand)
Cérémonie funèbre pour les funérailles de François Ferdinand et de sa femme sur fond de voix parlées faisant des commentaires. (Écouter ici un extrait de mes « Trauermärsche » qui sert de modèle à cette scène)
Scène 4 : Kein eigenes Wort (Pas un mot)
Monodrame sur un texte de Karl Kraus (publié dans « Die Fackel ») qui fustige la tendance au divertissement alors que la catastrophe s’annonce. Pendant ce temps, des personnes ivres, à l’extérieur, chantent des chansons patriotiques et belliqueuses.

ACT II
Scène 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Même situation qu’au début de l’acte 1. Le vendeur de journaux annonce la déclaration de la guerre.
Scène 2 : Graf-Baron (Comte-Baron)
Deux aristocrates discutent avec cynisme sur l’évolution et les bienfaits que peut susciter ce conflit.
Scène 3 : Satzenende (Fins de phrases)
Extrait d’un dialogue entre l’optimiste et le râleur (ce dernier étant en fait Karl Kraus lui-même). Les phrases de l’optimiste, en général naïves, sont introduites par un chœur d’hommes parlé et terminées en chantant par une mezzo (le râleur), plus perspicace et consciente de la catastrophe qui va advenir.
Scène 4 : Patriotische Mädchen (Jeunes filles patriotes)
Sorte de parodie des « filles-fleurs » dans Parsifal au cours de laquelle 6 jeunes filles s’extasient sur les bienfaits que la guerre pourra apporter à la civilisation et à leur vie propre.
Scène 5a: Phantasielosigkeit (Manque d’imagination)
Monodrame sur un texte de Karl Kraus au cours duquel un acteur développe l’idée que les guerres sont le produit d’un manque d’imagination.
Scène 5b: Vorgefühl I (Pressentiment I)
Première apparition d’Angelus Novus dont la voix sera toujours accompagnée par un cor anglais. Le texte est tiré de la première strophe d’un poème (Im Untergang, Dans le naufrage) dans lequel Karl Kraus s’imagine assister à l’enterrement de l’humanité.

ACT III
Scène 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Scène très courte dans la continuation des deux précédentes, mais montrant certains effets de la guerre sur les comportements humains.
Scène 2 : Frau Wahnschaffe (Madame Wahnschaffe)
Scène très développée montrant une mère de famille apprenant à ses enfants à jouer à la guerre. Les rôles des enfants sont tenus par des adultes. La femme écrit une lettre à son mari au front et se désole de ne pas pouvoir connaître le bonheur de voir son fils (encore enfant) mourir en héro à la guerre. Petit à petit les enfants deviennent adultes et, alors que résonne à l’extérieur une marche militaire, rejoignent le régiment sous le regard de leur mère qui leur dit : « Jouez, les enfants, jouez ! »

ACT IV
Scène 1 : Vorgefühl II (Pressentiment II)
Deuxième apparition d’Angelus Novus qui, peu à peu, devient « sans voix » face à l’imminence de la catastrophe qu’il est le seul à apercevoir.
Scène 2 : Die Schalek (La Schalek)
Alice Schalek était un personnage réel. Véritable bête noire de Kraus, elle était la première femme journaliste de guerre, situation pour laquelle elle nourrissait une véritable fascination. C’était ce journalisme à sensations que Kraus abhorrait et qu’il rendait responsable de la guerre et de la dépravation des mentalités.

ACT V
Scène 1 : Strassenszene (Scène de rue)
Dernière scène de rue dans une atmosphère cacophonique et très agitée.
Scène 2 : Dyptik der Grausamkeit (Diptyque de la cruauté)
Deux situations divisent cette scène. La première montre une femme écrivant à son mari au front, lui apprenant qu’elle a un enfant d’un autre homme et qu’il serait mieux pour tout le monde qu’il meure à la guerre. La seconde montre des soldats humiliés et tués par leurs propres officiers. Deux aspects de la cruauté en temps de guerre : l’un civil et l’autre, militaire.
Scène 3 : Holy Mass/Letzte Mahl (Sainte messe/Le dernier repas)
La scène est divisée en deux espaces : d’un côté une messe pour des officiers et des soldats dans laquelle Kraus démonte les connivences entre la religion et la guerre. Le ton du prédicateur est martial et belliqueux. De l’autre côté, des soldats ripaillent, ivres, ne s’apercevant pas que la mort rôde partout autour d’eux et que la défaite est irrémédiable. Parallèlement à ces situations alternées, et parfois superposées, des apparitions interviennent évoquant des situations de guerre d’une très grande cruauté et d’une grande violence. Cette scène est une Passacaille avec 15 variations.
Scène 4 : Vorgefühl III (Pressentiment III)
Scène finale de cette première partie. Angelus Novus ne peut presque plus articuler, tellement l’horreur qu’il voit se déployer sous ses yeux le révulse. À la fin, on entend une musique enregistrée comme venant de très loin. C’est une prémonition de la toute fin de l’opéra, au moment de la catastrophe ultime que seul Angelus Novus semble capable d’entendre pendant que la scène est jonchée de morts.

                                  SECONDE PARTIE : DÉROULÉ

À la différence de la première partie, divisée en multiples actes et scènes très contrastés, la seconde est constituée de 4 grands tableaux plus unitaires et développés.

Praeludium
La musique de ce prélude reprend les « accords de la fin de l’humanité » et anticipe sur beaucoup d’éléments qui adviendront lors de la catastrophe finale.
Tableaux I : Erscheinungen (Apparitions)
Ce premier tableau est entièrement soutenu par une musique électronique très développée. L’orchestre a disparu et restent les chanteurs solistes et le chœur. Il s’agit d’une vaste fresque évoquant différents aspects comme ceux des guerres contemporaines. Il n’y a pas de narration à proprement parler dans ce tableau, mais des images véhiculées par le chœur et les solistes. On y trouve des paraboles animalières avec les corbeaux et les hyènes, représentant pour Kraus les charognards, profiteurs de la mort, au premier rang desquels il mettait la presse populiste et nationaliste. Un blues évoquera la guerre du Vietnam avec des hélicoptères électroniques qui se transformeront en accords célestes. Le trio des masques à gaz évoquera celui des masques de Don Giovanni, des flammes et une forêt morte interviendront avant que le tout s’achève sur le cri déchirant d’une mère. (Écouter ici quelques extraits de la musique électronique).
Tableau II : Elektronisches Theater (Théâtre électronique)
Le contenu dramatique de ce tableau sera réglé au moment des répétitions. Il doit traiter des situations contemporaines. Nous sommes toujours dans la continuation de Kraus : la guerre éternelle et l’impossibilité d’y remédier. Nous y traiterons les sujets actuels tels que les réseaux sociaux, les fake news et l’industrie technologique tentaculaire qui tentent d’assujettir les consciences à leurs profits. L’autre particularité de ce tableau est que la plus grande partie de la musique électronique prendra naissance en temps réel dans les voix parlées des acteurs.
Tableau III : Fluch der Menschheit (Malédiction de l’humanité)
Cela commence par un long adagio, prolongeant le Praeludium du début de cette deuxième partie, au cours duquel les acteurs entament une progressive accusation de l’humanité sur les conséquences de ses actes belliqueux. Au cours de cette séquence, ils rencontrent Angelus Novus qui se joint à eux pour condamner les actions humaines. Il s’agit d’un très long crescendo qui prélude au dernier tableau dans une tension de plus en plus exacerbée. La fin, entièrement composée en musique de synthèse, laisse planer une musique de cordes exprimant le vide et la désolation juste avant le cataclysme final. (écouter ici)
Tableau IV : Die letzte Nacht (La dernière nuit)
Des voix d’en haut (peut-être d’une autre civilisation) dirigent une opération punitive contre l’humanité, coupable de s’être sabordée inlassablement dans des guerres sans issue. Les huit solistes représentent ces personnages accusateurs qui lancent sur l’humanité une pluie de météorites et de flammes pour la détruire.
Épilogue
Après un bref dialogue entre l’actrice et l’acteur, un trio de femmes porte la voix des « enfants non nés », suppliant de ne pas être mis au monde dans cet univers en un tel état de décomposition. C’est sur ce trio plaintif que s’achève l’œuvre.

Dernière page de la partition

Philippe Manoury, Strasbourg 20 février 2025

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